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COVID et CRIMES

Douglas Murray : " The Strange Death of Europe "





  
THE STRANGE DEATH OF EUROPE
IMMIGRATION, IDENTITY, ISLAM
Douglas MURRAY
Bloomsbury, mai 2017, 343 pages


« Je suis voyageur et marin, c'est-à-dire un menteur et un imbécile aux yeux de cette classe d'écrivains paresseux et superbes qui, dans les ombres de leur cabinet, philosophent à perte de vue sur le monde et ses habitants et soumettent impérieusement la nature à leurs imaginations. Procédé bien singulier, bien inconcevable de la part de gens qui, n'ayant rien observé par eux-mêmes, n'écrivent, ne dogmatisent que d'après des observations empruntées de ces mêmes voyageurs auxquels ils refusent la faculté de voir et de penser. »
Discours préliminaire au Voyage, Louis-Antoine comte DE BOUGAINVILLE (1729-1811)


Néoconservateur et homosexuel assumé, Douglas MURRAY est un esprit libre et lucide. Ce jeune intellectuel anglais, né en 1979, conjugue avec un même talent l’écriture – journalistique ou littéraire – et le commentaire politique. Directeur associé de la Henry Jackson Society, il intervient fréquemment dans la presse écrite et audiovisuelle anglo-saxonne pour dénoncer, entre autres, la ridicule « bien-pensance » du politiquement correct (political correctness en anglais).

Souvenons-nous. Dès la fin du XVIIe siècle les chancelleries occidentales s’attachèrent avec beaucoup de sérieux à ce qui allait devenir la « question d’Orient  (1) ». Il s’agissait alors pour les grandes puissances européennes d’accompagner le recul de l’Empire ottoman. Ce repli turc devint inéluctable avec la bataille de Zenta (2). Celle-ci se traduisit par une défaite cinglante du sultan et aboutit à la signature, en 1699, du traité de Karlowitz. Dès lors, Londres, Paris, Saint-Pétersbourg et Vienne n’auront de cesse, dans un jeu subtil de balancier, de s’opposer ou de s’allier entre elles, avec ou contre la Sublime Porte. La France, l’Angleterre, la Russie veilleront à accroître leur influence, agrandir leurs empires coloniaux respectifs au détriment des Ottomans, tout en s’efforçant de contrer le plus possible les intérêts des autres capitales européennes. Il résulta de ces politiques contradictoires une diplomatie alambiquée et des alliances conjoncturelles surprenantes avec le Padichah (3). Ce dernier faisait trembler la Chrétienté depuis sa conquête de Byzance (4) et, par deux fois déjà, avait assiégé Vienne (5) ! Cependant, le Grand Turc devenu, selon l’expression du tsar Nicolas Ier, « l’homme malade » du continent, ne cessa de reculer jusqu’à son effondrement final en 1918.

En ce début agité du troisième millénaire, l’Occident a singulièrement perdu de sa superbe. C’est l’Europe qui a pris les traits d’une vieille dame malade ! Et l’islam n’y est pas étranger. C’est la thèse admirablement exposée dans The strange death of Europe.

Avec ce nouvel opus, l’écrivain – athée, mais authentique défenseur de l’héritage judéo-chrétien de l’Occident, – nous présente une réflexion majeure sur l’actuelle Trahison des clercs. L’Europe se meurt ou plutôt, nous explique-t-il, elle se suicide. Le constat est sans appel dès la première phrase de l’introduction : « Europe is committing suicide. » Cette mort consentie ne laisse pas d’intriguer. Et d’aucuns de s’interroger sur L’étrange défaite d’un continent entier. Les deux phrases suivantes annoncent les développements de l’ouvrage sur 19 chapitres : « Or at least its leaders have decided to commit suicide. Whether the European people choose to go along with this is, naturally, another matter. »

Inventeur de la démocratie et dépositaire d’une civilisation qui puise ses valeurs à Jérusalem, Athènes et Rome, le Vieux Continent est fatigué. Pis, il n’a plus foi en lui. Ce berceau de la civilisation qui abrite le Parthénon, comme le rappelait l’humaniste Stefan ZWEIG, s’est mis à douter de lui après avoir enfanté deux épouvantables totalitarismes – le communisme et le nazisme – qui se sont soldés par un nombre absolument effarant de victimes. Les dirigeants ouest-européens appuyés par la majorité des milieux intellectuels et artistiques en vogue ont, depuis la fin du second conflit mondial, renoncé à exercer tout magistère moral autre que celui d’une repentance exacerbée et, pour dire les choses simplement, tout à fait exagérée. Cet autodénigrement, systématique, irréfléchi, a conduit nombre de personnalités très éduquées (celles qui, hélas, dictent les goûts et les modes) à s’égarer totalement dans leur appréciation du monde postcolonial. Les pays du Croissant ont retrouvé leur indépendance et, de ce fait, une fierté légitime. Cependant, la misère économique, la brutalité politique et les guerres se sont étendues des rives méridionales de la Méditerranée jusqu’au Cachemire âprement disputé entre les deux États issus du démembrement des Indes britanniques. Des liens historiques devenus séculaires et le prétendu besoin de main d’œuvre dans les anciennes puissances coloniales, fortement défendu par un patronat avide de gains rapides mais sans aucune vision à long terme, ont conduit les gouvernements britannique, français, belge et allemand à ouvrir les portes des usines aux anciens colonisés. Ces derniers sont d’abord venus pour le travail et puis, au fil du temps, diverses politiques de regroupement familial ont abouti à une immigration de masse, de peuplement disent certains.

Des esprits chagrins, et cependant clairvoyants, n’ont pas manqué de rappeler que les hommes ne sont pas interchangeables comme des objets de commerce. Chaque être humain à ses qualités propres mais est aussi l’aboutissement d’une éducation, le fruit d’une culture particulière. Ce devrait être une évidence mais le rappeler vous fait passer dorénavant pour un dangereux extrémiste de droite et, qui plus est, un fieffé raciste. Las, il n’y a de politique que celle fondée sur la réalité. Voici pourquoi ce livre est particulièrement bienvenu.

Le 20 avril 1968, dans une allocution restée célèbre, le conservateur britannique Enoch POWELL (6) mettait en garde ses compatriotes contre une immigration déjà très déraisonnable et dont il prévoyait les effets délétères à long terme. L’orateur fut acclamé par le peuple anglais et méprisé par les élites. La classe politique s’empressa de suivre l’exact contraire de ses sages recommandations. On le sait, nul n’est prophète dans son pays… sauf Mahomet !

Depuis ce discours de bon sens mais vilipendé, quatre décennies se sont écoulées. L’essayiste vient à point nommé pour le reprendre, l’étoffer et l’étayer. Présentement, ce n’est plus un pays en particulier qui est concerné mais un continent entier. Il ne s’agit plus de dénoncer – pour tenter d’y remédier – les difficultés sociales d’adaptation d’une population caraïbe dans les îles britanniques. Il importe d’affronter le formidable défi que pose l’arrivé de millions de musulmans sans bagage culturel suffisant, sans formation professionnelle adéquate pour s’intégrer dans une Europe frappée par une double crise économique et politique.

MURRAY n’est pas ROUSSEAU et c’est heureux ! Il n’appartient pas à « cette classe d'écrivains paresseux et superbes qui, dans les ombres de leur cabinet, philosophent à perte de vue sur le monde et ses habitants et soumettent impérieusement la nature à leurs imaginations  ». L’Anglais s’est donné la peine de parcourir l’Europe. Aussi bien à Lampedusa (Italie) qu’à Lesbos (Grèce), il est allé à la rencontre des réfugiés arabes, africains et asiatiques qui échouent par milliers dans des conditions dramatiques. Il les a vus, il les a écoutés et s’est entretenu avec eux. Il ne nous cache rien de leur tragédie. Ce qu’il nous rapporte, par exemple, de l’odyssée d’une jeune Afghan fuyant la barbarie des talibans est particulièrement poignant. Cependant, le Britannique constate que ces « migrants », essentiellement des hommes jeunes et musulmans, s’ils ne fuient pas tous des pays en guerre, sont toujours à la recherche de meilleures conditions économiques et beaucoup considèrent qu’elles leurs sont dues. La méfiance puis l’hostilité s’installent rapidement entre les indigènes – jamais préalablement consultés – et les nouveaux venus. Et l’auteur, qui s’interroge, de pointer de-ci de-là des comportements étranges, pour ne pas dire agressifs, de la part des arrivants. N’aurait-on pas pu installer des camps de réfugiés sous l’égide de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en Turquie et ailleurs en Méditerranée orientale, voire en Afrique Nord ? Pourquoi ne s’est-on pas adressé à quelques États richissimes du golfe Arabo-Persique pour mettre en œuvre une nécessaire solidarité musulmane ? Rarement sollicitées sur cette question les autorités locales l’ont généralement éludée. Plus directs, certains hauts responsables des pétromonarchies ont justifié leur refus d’accueillir des coreligionnaires d’autres pays, à cause des différences culturelles…

En Europe, à l’heure du multiculturalisme triomphant, il serait indécent d’émettre le moindre doute sur l’éventuelle difficulté à intégrer des millions d’êtres humains originaires d’horizons totalement différents de celui qui fonde deux millénaires de civilisation occidentale judéo-chrétienne. Apparemment le Vieux Continent est le seul endroit de la planète où des étrangers peuvent s’installer en exigeant des populations locales qu’elles les accueillent sans rechigner, modifient leurs traditions sans barguigner. Tolérance et ouverture à l’autre sont les deux mamelles d’une politique à la fois ésotérique et élitiste mais parfaitement incompréhensible pour les peuples continentaux. Soudain, les Allemandes apprennent qu’il n’est pas prudent de marcher seules dans les rues. Leur façon de se vêtir ne sied pas aux us et coutumes des Orientaux et peut inviter au viol. Bien entendu, si un grand intellectuel algérien fait le lien avec la condition des femmes en terre d’islam, immédiatement une légion d’idiots utiles le voue aux gémonies dans un grand quotidien parisien. Des Suédois sont interloqués en écoutant leur Premier ministre, Fredrik REINFELDT, pérorer : « Only barbarism is genuinely Swedish. All further development has been brought from outside ( 7). »

Si les Britanniques peuvent s’enorgueillir de Londres devenue une extraordinaire ville-monde dynamique et ouverte à toutes les civilisations, certains ne manquent pas de constater que la population anglaise de souche y est désormais minoritaire. Faut-il s’en réjouir ? Les statistiques démontrent également que l’intolérance à l’homosexualité, la détestation des juifs et le mépris de la gent féminine vont croissant au fur et à mesure que l’islam investit les quartiers…

Les patries de Goethe, Ibsen, Michel-Ange, Mozart, Shakespeare et Voltaire n’en finissent plus de battre leur coulpe. En 2015, Angela MERKEL, s’est imaginé conjurer une démographie déclinante et faire acte de contrition en ouvrant l’Europe à un mouvement migratoire sans précédent. « Wir schaffen das » (On peut le faire) a-t-elle proclamé ! Injonction bien téméraire qui masque la volonté de satisfaire un patronat à courte vue et une culpabilité existentielle face au nazisme. La Chancelière oublie que l’économie ne peut se réduire à des chiffres et que pour produire des richesses il faut faire œuvrer ensemble des hommes le plus harmonieusement possible. La fille de pasteur semble ignorer la distinction entre éthique de responsabilité (verantwortungsethisch en allemand) et éthique de conviction (gesinnungsethisch). L’économiste et sociologue allemand, Max WEBER (1864-1920), a fort brillamment disserté sur ce point. Comment la Bundeskanzlerin fédérale a-t-elle pu, à ce point, négliger les enseignements de l’auteur de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (8) ?

Mais qu’importe puisque les belles âmes humanistes ont rejoint la position de Madame MERKEL. Toutes, dans un bel élan de générosité, invitent leur prochain à réserver le meilleur accueil possible aux migrants qui donne à la vieille Europe l’occasion inespérée de se régénérer ! Cependant, MURRAY nous avertit à propos des politiciens européens : « They appeared to have no awareness of the fact that from the Muʼtazilites (9) in the tenth century to the Iranian Ali Dashti(10)  in the twentieth century, Islamic history had witnessed many reform movements and many reform-minded individuals, all of which had been defeated by the force, arguments and appeals to authority of the fundamentalists(11). »

Invoquant l’histoire, le penseur britannique remet les pendules à l’heure. Ainsi, l’arrivée des Huguenots, en Angleterre, à la fin des années 1680 et la venue de travailleurs italiens ou polonais, en France, dans la seconde partie du XIXe siècle ne peuvent être comparées au chaos migratoire actuel. Il souligne également – et cela ne plaira pas – que tous les modèles pour assimiler ou associer les communautés musulmanes à la culture des pays d’accueil se sont fracassés. L’intégration française et le communautarisme britannique constituent les échecs les plus patents. Mais les tentatives belge, suédoise, hollandaise n’ont pas mieux réussi. Croyant impossible d’arrêter ce flux d’immigration, l’auteur préconise de le réduire pour mieux le maîtriser. Il invite les gouvernements à renoncer à l’irénisme béat. Ces derniers doivent assumer leurs responsabilités. À charge pour eux de mettre en œuvre des politiques efficaces pour intégrer des allogènes sans mettre en péril l’identité et la cohésion de l’Europe.

Le déni de réalité est encore aggravé par la lâcheté de nos tartufes moralisateurs. Et l’écrivain de déplorer les attaques, particulièrement indécentes, dont les intellectuels musulmans démocrates et réellement progressistes sont la cible depuis une trentaine d’années.

Rappelons le déchaînement de violence au Royaume Uni contre Salman RUSHDIE après la parution, en 1988, de son roman, The Satanic Verses (Les Versets sataniques). Le romancier anglo-indien fut condamné à mort par l’imam KHOMEINY et cette sentence fut approuvée publiquement par le célébrissime Cat STEVENS, récent converti à l’islam ! La Somalienne Aayan HIRSI ALI qui force l’admiration par son courage physique et son parcours intellectuel a été obligée de partir en Amérique devant l’incapacité des autorités des Pays-Bas à la protéger efficacement. Cette Africaine, excisée dans son pays d’origine, qui a fui un mariage forcé – mais également réussi des études supérieures à Leyde avant d’entamer une carrière politique en Hollande, a été des mois durant insultée, traitée de raciste et menacée de mort. Son crime est d’avoir dénoncé l’hypocrisie d’une société néerlandaise qui, au nom du multiculturalisme, ferme les yeux sur la maltraitance dont souffrent les immigrées musulmanes de la part des hommes de leur communauté. On peut aussi citer le cas de l’universitaire d’origine égyptienne, Hamed ABDEL-SAMAD. Ce dernier, qui vit en Allemagne, est sous protection policière rapprochée depuis la parution, en 2014, de son livre Der islamische Faschismus: Eine Analyse(12).

Remercions Douglas Murray pour son courage. Au terme d’une analyse rigoureuse et implacable, il a dressé pour l’Europe entière, le diagnostic qu’avait déjà établi pour la France, par deux fois au XXe siècle, deux penseurs d’exception : Julien BENDA et Marcel BLOCH.


Winston BELMONTE


Notes :
1  Cette expression fut utilisée à partir de la fin du XVIIIe siècle.
2  Le 11 septembre 1697 dans la Serbie septentrionale.
3   D’origine persane et jadis orthographié padischah, le terme désigne, en turc, l’empereur ottoman dans sa double acception spirituelle (calife) et politique (sultan). En islam, rappelons-le, il n’y a pas de séparation entre les pouvoirs religieux et politique. Les deux sont confondus sous une même autorité.
4   Le 29 mai 1453.
5  En 1529 et 1683.
6  Par allusion à un passage de l’Énéide de VIRGILE, cette déclaration fut baptisé le « discours des fleuves de sang » (the “River of Blood” speech) alors que son auteur l’appela le « discours de Birmingham » (the “Birmingham speech”). Le texte faisait plus spécifiquement référence à l’immigration des Jamaïcains.
7  Page 250.
8   Max WEBER publie son livre, Die protestantische Ethik und der “Geist” des Kapitalismus, en 1905.
9   Mouvement qui tenta d’interpréter le Coran d’un point de vue rationaliste. À l’encontre de l’opinion dominante, il considérait que le livre révélé de l’islam était créé.
10  Ali DASHTI (1894-1982) reçut une éducation religieuse chi’ite traditionnelle avant d’entreprendre une carrière d’écrivain et d’homme politique. Il est célèbre pour son livre, 23 ans, dans lequel il étudie la vie du Prophète d’un point de vue rationaliste.
11   Page 154.

12   La version anglaise, Islamic Fascism, a été publiée en 2016. En France, après bien des péripéties, l’ouvrage a paru, en 2017, chez Grasset sous le titre Le fascisme islamique. 


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